Et j’ai vu Bachir, qui courait…

Hier soir, tard, je me noyais dans la toile infecte et ce F-Haine, qui me file une nausée qui ne m’a pas quitté depuis dimanche soir. Fermée. Lovée. Comme face à un précipice incompréhensible. Et puis, sur le groupe Facebook privé qui nous permet d’échanger entre bénévoles et migrants du CAO où je passe certains après-midi, j’ai vu une photo postée, une minute auparavant. J’ai vu Bachir, en plein effort, le visage grave et la joie sourde, empli de force, le corps fuselé. J’ai vu Bachir, qui courait.

BachirPhoto

Bachir, c’est le sportif de la bande. Un sourire qui lui inonde le visage, la poignée de main franche et douce, la peau noire ébène qui brille, même sous les néons glauques du nid où il a trouvé refuge.

Moi, qui pleurais là, d’une tristesse lourde, d’un pays au bord du gouffre, j’ai vu Bachir, qui courait.

La première fois que j’ai rencontré Bachir, il rentrait du sport. Baskets trop grandes aux pieds et sourire en bandoulière. On n’a pas eu besoin d’échanger mille mots pour que je comprenne. Bachir, il n’a jamais arrêté de courir. De courir après ses rêves, de courir pour continuer de vivre, de courir pour ne pas s’effondrer, pour rester debout, fier et fort. J’ai appris, bien plus tard, que son père courait lui aussi, avant, sous les couleurs de son beau pays, le Soudan. Alors quand on apprend à se présenter, Bachir a ses phrases bien à lui. « Bonjour, je m’appelle Bachir, je suis soudanais et j’aime courir ». Il a parcouru la ville, en long, en large, en courant, en roulant. Au début seul et puis, accompagné d’un club caennais qui l’a accueilli les bras ouverts. Il rêvait d’avoir « des manches » qui s’enlèvent… Pas pour la frime, pas pour être un runner à la mode, juste parce que techniquement, ça doit être important d’avoir ces manches qui n’en sont pas. Ça a bien fait rire ses copains… Mais sa mamie d’ici, Madame Colette, lui en a offert quand même… Parce que c’est important.

« Bachir a fini 2ème en 49’19’ au trail de 12km de Grimbosq »… Non. Bachir a fini premier. Premier d’une longue course, de milliers de kilomètres, interminable, qui s’est achevée ici, ce jour là, quand il a pu revêtir un équipement digne de ce nom et courir officiellement, en France. C’était dimanche 23 avril… Et pendant qu’il courait, d’autres votaient… Pendant qu’il courait, pour oublier, pour transpirer ses peurs et ses souvenirs, d’autres glissaient des bulletins dans l’urne. Pendant qu’il courait, de toutes ses forces, à corps et à cris, d’autres lui barraient la route. D’autres avaient décidé que non, il ne pourrait plus courir demain, qu’il pourrait retourner courir chez lui voyons. Que courir entre les bombes, en slalomant entre la terreur et la peur, ce serait quand même plus adapté, à sa peau ébène. Il aurait pu flancher, assommé par les ondes d’électeurs nauséabonds, assommé par cette haine, assommé par ces bulletins, glissés les uns après les autres, comme une torture sans fin, comme autant de coups de fouet. 7 679 493 coups de fouet et un Bachir, toujours debout.

#faisonsfront #tousderrièreBachir

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